Chapitre 3

"Obviously, I miscalculated a few things."


Après avoir passé la matinée à la bibliothèque, je me mets en marche en direction des dortoirs pour prendre les outils nécessaires au cours de l'après midi. Tous les étudiants ont cours à l’Académie durant cette première semaine. J’avais formulé des vœux, et ils ont été manifestement pris en compte par la vigie pendant l’été, vu les cours que je dois suivre. J'en discute d'ailleurs avec Cassandra sur le chemin du réfectoire.

- T’as vu qu’on a des cours en commun? Même celui que j’apprécie par dessus toute chose !

Mon ironie ne lui échappe pas. Cassa ricane et me répond :

- Depuis quand tu aimes la politique ?
HA !

- Mais depuis toujours ma chère ! J'adooore rester assise durant quatre heures, à écouter la vigie nous apprendre à faire de la politique. C’est tellement brillant que j’en oublie tout le reste ! Sérieusement, même les humains n'en ont rien à carrer. Et je ne te parle même pas de l'interminable cours d'histoire qui l'accompagne.

- Tu exagères… Qui pourrait nous enseigner mieux l'histoire que la Vigie, qui l'a vécue ? On leur doit à toutes le respect, elles font le sacrifice de leur mort pour honorer le devoir de mémoire. Enfin, ça c’est jusqu'à ce qu'elles ne tiennent plus et sombrent dans la folie. Tu sais quel âge a celle de cette Académie?

Après une telle réprimande, je sais que je suis forcée de fermer mon clapet. Je me plains pour rien.

- Presque trois mille ans, je soupire néanmoins. La plus ancienne du monde... C'est vrai que ça force le respect de voir quelqu'un ayant vécu tant et tant d’années et ENCORE supporter son devoir. C’est quand même un cas assez unique… Tu sais que la plupart d’entre nous fait le choix de mettre fin à leurs jours passé les trois-cents ans. Ils ne se sentent plus à leur place dans une société humaine qui ne cesse de progresser. Nous finissons par devenir obsolètes, ne parvenons plus à nous adapter... On ne peut pas vraiment généraliser...

Ma tirade de sagesse est interrompue par le brouhaha du réfectoire.

Le repas du midi n'est pas encore servi, et deux choses m'attendent à ma table : mon frère et une enveloppe. James semble ne pas être satisfait de mon absence de réponse, et a échangé sa place avec mon voisin d’hier soir.  Je prends le parti d'adopter l'attitude la plus neutre possible. Hors de question de lui donner satisfaction. On ne va pas nettoyer le linge de la famille en public.

Il me salue d'un hochement de tête que j'ignore complètement, et me concentre sur l’enveloppe. Je la retourne pour voir l’expéditeur ; il n’y en a pas. Pas de timbre non plus. On peut supposer qu'il s'agit de courrier interne à l'Académie. Je n'ai pas la prétention de présumer qu'il s'agit d'une lettre d'amour, je pense de suite à une convocation.

La lettre à peine dépliée, je vois que mon intuition était la bonne. La lettre formelle provient de la vigie. Je m’attendais à tout sauf ça, tellement que j’en manque de m'étouffer avec ma purée.
Il faut positiver, maintenant je suis fixée. Certes, je ne pourrais pas faire ma sieste après le repas (dommage), mais j’ai aussi un moyen parfait pour éviter mon frère. Je termine donc mon repas tranquillement, et le moment venu, profite de la distraction offerte par un ami de James pour m’esquiver discrètement.

Cassa patiente devant le bureau de la vigie lorsque j’arrive. Elle aussi a une lettre à la main. Nous discutons brièvement, et nous apercevons que nos lettres respectives ont un contenu presque identique. Donc dépourvu d’information. Super. Et en plus on doit poireauter. Une bonne vingtaine de minutes plus tard, nous discutons toujours, assises à même le sol, lorsque la porte s’ouvre. Prise en flagrant délit, je me relève, puis entre dans la pièce précipitamment.
Cassa est à côté de moi alors que j'observe la vigie écrire dans un livre énorme. Elle termine tranquillement la calligraphie de sa phrase, avant de lever la tête et de prendre la parole.

- Bonjour Mesdemoiselles.

- Bonjour Madame.

Ça c’est Cassa. Moi je réponds de mauvaise grâce.

- Bonjour...

La vigie ne tient pas compte de mon enthousiasme et poursuit.

- Vous êtes toutes les deux nouvelles arrivantes à l’Académie dont j’ai la charge, j’ai donc étudié vos dossiers. Je vois pour vous deux d’excellentes notes en alchimie, mécanique, technique de défense, ou encore en botanique. C’est amplement suffisant pour que vous vous spécialisiez en assassinat et combat, et le bilan psychologique n’infirme en rien vos capacités. J’ai cependant souhaité vous rencontrer avant de vous accueillir dans mes cours, étant donné que vos choix sont identiques… Vous n'êtes pas sans connaître la dangerosité de cette formation. Je juge cette carrière personnellement trop dangereuse pour des jeunes femmes issues de la noblesse, et encore plus pour celles de la royauté. Quelques unes se sont bien sûr brillamment illustrées, mais je pense que vous devriez envisager une autre orientation.

Notre réponse fut aussi sèche que synchronisée.

- Non !

- L'éducation, les soins, la politique ne vous satisferaient donc pas ?

Un hochement de tête négatif remplit son office.

- Je sais que votre choix est dicté par ce qui est arrivé à votre ancienne camarade de classe, ainsi que par la guerre qui se prépare au sein de notre communauté contre...

- C’est pas vrai !

- Très bien. Alors qu'auriez vous fait si la paix était installée ?
Elle darde sur nous un regard si puissant que je sens ma détermination faiblir. Cassandra est la première à abdiquer.

- Mécanicienne...

- Effectivement, Mademoiselle de La Houlepière, votre talent en mécanique vous le permettrait. Mademoiselle Drake? Soyez honnête. Je sais bien que tous les Drake font des assassins, des combattants, et des généraux parmi les plus talentueux. Mais vous êtes la première femme, n'avez vous pas d'autres ambitions ?

En plein dans le mille. Je la déteste, elle n’aurait pas pu tomber mieux. Et je ne peux même pas mentir.


- Cavalière professionnelle, je soupire.

- C’est vrai que vous avez toutes les deux un talent certains pour le horse-ball... J'aimerais que vous intégriez la meilleure équipe de l'Académie. Puis-je vous proposer d'y réfléchir? Les sélections sont ce samedi. Vous devriez mettre de côté votre rancune familiale, au moins pour pouvoir continuer à vous améliorer et profiter de votre passion commune. Vous êtes probablement déjà au courant que votre frère occupe le poste de capitaine ? Je ne connais pas les différends de votre famille, mais vos parents s'inquiètent pour vous. C’est encore pire depuis que vous ne les avez pas prévenus au sujet de la réunion d’information et votre retour en Angleterre. Vous refusez obstinément de répondre à leurs courriers, et sans connaître la cause je constate les conséquences... Enfin, j’espère avoir le plaisir de vous voir porter nos couleurs lors du premier match.

La conversation est terminée, et nous nous retrouvons dans le couloir sans vraiment savoir comment. Manque de chance c'est au moment ou le club "extra white" descend les escaliers. La rencontre est inévitable. Pour la première fois depuis l’incident, je vais devoir parler à mon frère. Grrr.
Cassa m'encourage d'une main sur l'épaule. J’inspire un grand coup et m'efforce de prendre une démarche résolue.

- Mary-chérie!

- ...

- Mary?

Ça va marcher. Je l'ai presque dépassé, je suis à une dizaine de mètre des escaliers, et...m**** ! Il m'a attrapée par le poignet. Je suis forcée de m’arrêter, mais je ne suis pas prête, j'ai les jambes qui tremblent... Ma main droite se crispe, permettant à ma montre de se déplier en recouvrant mon bras. Et puis je sais que Cassa me suit. Elle me protège, et à deux contre quatre on s’en sortira. C’est la seule pensée qui me donne le courage de pivoter pour faire face à mon frère.

- Mary !

- James...Je ne t'avais pas vu.

- Bien sûr. Il n’y a qu’un seul passage pour accéder aux salles de cours et je descendais les escaliers. Tu ne m’as pas vu hier soir non plus, lorsque j’étais assis en face de toi. Pas plus ce midi évidemment, lorsque j’étais à côté de toi. Pourquoi étais-tu dans le bureau de la Vigie ?

- Justement, je pensais à ce qu'elle m'avait dit...

Il sent mon hésitation et en profite pour raffermir sa prise sur mon poignet. Il reprend la parole sûr de son ascendance dans la conversation en me détaillant du regard de haut en bas.

- J'espère que ce n'est pas dû à ta tenue... Tu es une femme, tu devrais faire plus attention. Ton port de l'uniforme est déplacé, on voit même ta poitrine. Je ne veux pas que ma soeur ai une mauvaise réputation. Est ce une conséquence de tes...mauvaises fréquentations ?

Son regard appuyé sur Cassandra suffit à me faire bouillonner. Pour qui il se prend lui ? Sa bande n’est pas mieux. Le grand brun juge pertinent d’intercéder en ma faveur, ou c’est ce qu’il croit.

- Elle est bien faite ta soeur pourtant, ce serait dommage de le cacher. Et puis elle peut porter ce qu’elle veut…

Je porte encore l'uniforme de la même manière qu'au petit déjeuner, rien de vulgaire donc. Mais pourquoi ? Pourquoi il traîne avec ces glands ? Il m'avait pourtant promis que je passerais toujours avant les autres...
Je prends donc une grande inspiration et choisis le ton le plus glacial de ma collection.

- Non mais je rêve, tu t'es vu ? T’es cent fois pire que moi, tiens-toi droit au moins ! Tu te montres comme un imbécile heureux faisant fi de l'étiquette comme le crétin que tu es. Et vous derrière, inutile de rigoler, puisque vous êtes ses amis vous ne valez pas mieux. Qui plus est ne t'avise plus jamais de critiquer Cassa devant moi. Jamais ! Elle est désormais comme ma soeur et mon UNIQUE famille !

J’ai fini par crier, perdant tout contrôle. En voyant son air surpris, je sais que j'ai fait mouche.
J'ai plus de caractère et d'aplomb que lors de notre dernière discussion. Ses camarades enclenchent leurs montres. Ils semblent hésiter à engager le combat. J’ai presque pitié de mon frère et lui prends doucement la main. C'est un geste instinctif, une volonté de le protéger. Je me déteste pour ça. Le pire de tout, c’est qu’il me regarde fixement maintenant.

- Alors pourquoi agis-tu ainsi si je ne suis pas ta famille ? finit-il par lâcher. Si tu n'as plus d'attaches avec moi ?

Un silence s'installe. Je dégage mon bras gauche d'un mouvement brusque en rompant par-là même tout contact.

- Juste pour pouvoir mieux me foutre de toi après. Le grand James Drake humilié devant tous ses camarades par sa propre soeur. Ta tête actuelle valait largement le sacrifice. Tu croyais vraiment que j'allais te pardonner ? Tu rêves éveillé mon pauvre. Jamais, je dis bien JAMAIS je ne te pardonnerai ta trahison !

Je me mets a ricaner. Je m'attendais à sa colère, à des cris, des injures, à une bataille épique. James n'est même pas en colère, il ressemble au petit garçon de notre enfance qu’on aurait pris en faute, prêt à fondre en larmes à la première dispute. Son visage est marqué de tristesse, et je ne supporte pas cette vision. Heureusement, Cassa remarque mon effarement et prend les choses en main, me reconduisant aux chambres.

Mon cerveau malsain me repasse l'image en toile de fond. Je suis responsable de ça... Je me laisse guider comme une automate, fondant en larmes aussitôt la porte refermée. Ce sont les premières larmes que je verse depuis la dernière fête de Noël en famille. Il n'est plus mon frère, je ne peux pas faire marche arrière, plus rien ne sera comme avant.

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