Chapitre 4

"Don't be scared ..."

Cette première semaine de cours passa sans que je ne doive lui reparler. Tant mieux.
Mon cours favori commence dans quelques minutes. Je suis installée au fond de la salle, près du chauffage. La place du cancre, bien que ce ne soit pas devenu mon QG pour cette raison. Bien planquée derrière mes bouquins, je devrais pouvoir améliorer ma montre confortablement. Techniquement, je suis censée prendre des notes, en pratique Cassa me fera une copie des siennes, et moi je pourrais vaquer à mes occupations sans souci. Ma montre dépliée et ôtée, je commence à l’examiner.
La vigie entre dans la salle alors que je fixe le dernier rivet de ma nouvelle plaque de cuir. Avec celle ci, tout mon avant bras est protégé. Reste à déterminer si j'ajoute dessus une arme, un utilitaire, ou une défense.
Le cours a déjà commencé quand la bande d'amis de mon frère arrive. Il ne reste que quatre places à ma gauche. Grrr. Et vous savez le pire ? Mon frère et son ami brun, Will je crois, commencent à se battre pour la place à côté de moi. Dans le même temps, le grand blond les ignore et s’assoit à la même place. J’aurais dû y poser mes pieds…
Leurs cris de protestations interrompent la vigie, qui darde sur eux un regard furibard. Mieux encore, elle se met tellement en pétard qu’elle en vire les trois garçons encore debout dans la pièce. Bien fait. Le plus petit tente de protester, en vain, alors que le blond semble absolument ravi. Je soupire et reprends mes croquis d'armes. De vrais abrutis, je vous jure...
Bon. Voilà que l'idiot restant cherche à entamer la conversation avec moi. Ruban jaune, un futur enseignant... Manquait plus que ça ! Sérieusement, où il se croit ?
- On s’est déjà vus non ? Moi c’est Peter...
Je daigne lever le nez pour lui adresser un regard parmi les moins amicaux de ma réserve. Tant pis pour sa main tendue, elle n’avait qu’à rester dans sa poche.
- Digne de la soeur de James !
Il insiste le bougre ! Tant pis, il l’aura cherché.
- Je ne suis pas sa soeur, je lâche sur un ton tellement glacial que la température doit baisser d’au moins deux degrés. Moi c’est Mary. Si tu souhaites t'adresser à moi, utilise mon prénom.
- Oui, mademoiselle Mary !
Gentil toutou.
Cassa est assise au rang juste en dessous. Elle ne se retourne pas mais m’envoie un papier. “Sois aimable (pour une fois), il ne t’a rien fait celui-là”. Hmpf. Je peux essayer.
Je tente un sourire, probablement peu sincère mais suffisant pour tenter une ouverture. Mon voisin semble surpris devant ma tentative. Pas suffisamment pour rester figé cependant, et il ne tarde pas à me le rendre.
Revers de la médaille, il ne tarde pas à s’enhardir.
- Je voulais te parler de ton frère... Pardon, de James.
Tout de suite, les choses qui fâchent ! Il ne pouvait pas simplement se taire, écouter le cours, et me laisser perfectionner ma montre ? C’était si simple !
- Tu sais, il nous avais habitué à tes messages quotidiens… Il nous les partageait, il était vraiment content de les recevoir. Et puis tu as tout arrêté il y a deux ans. T’imagines ce que ça lui a fait ? Tu étais son centre du monde, il ne faisait des bêtises que pour avoir le plaisir de te les raconter !
Bah voyons. Comme s’il était une crème.
- C’est uniquement pour cette raison que je les couvre toujours tu sais… Je ne devrais pas pourtant, je suis représentant des étudiants, mais je suis incapable de résister à son regard suppliant. En plus ça lui donnait une bonne excuse pour te parler.
C’est ça, bien sûr. Saint James tant qu’on y est.
- Je sais que tu n’étais pas en reste, continue...Peter sans s’attarder sur mes yeux levés au ciel. Tu ne comptais plus tes heures de retenues, et nous non plus. James nous disait que tu étais fantastique, et utopiste comme tu sais qu’il est on ne l’a pas vraiment cru. Il était pourtant loin de te rendre justice, tu es son portrait craché.
PARDON ?
- Quoi ?
Un peu plus et je grognais. Tout doux Mary, tout doux.
- Ton visage est peut-être plus fin que sa frimousse, tes cheveux plus longs et tes yeux noirs moins grands, mais tu lui ressemble tout de même beaucoup dans tes expressions. Je ne parle même pas de ta démarche ou de ton charisme. C’est même pas étonnant que tu sois de la royauté.
Si quelqu’un se pose la question, ce qu’il fait s’appelle “brosser dans le sens du poil”. Synonyme: “flatter”, “lécher les bottes”.
- Mary...ça lui a fait un choc quand tu l’as renié, il ne s’y attendait pas. Il l’a tellement mal pris qu’il s’en est attaqué à des assassins, et croie-moi c’est grave venant de lui. Je ne sais pas à quoi tu fais référence en parlant de trahison, et je sais que rompre le dernier lien avec sa famille demande beaucoup de courage…
“Flagornerie”, ça marche aussi.
- Tu savais que Will a connu la même situation. Il t’admire à cause de ça. Le problème, c’est que ton frère se met en danger pour attirer ton attention. Il a déjà la positon de “roi” dans l’Académie, il risque de tout gâcher. Tu veux vraiment avoir ça sur la conscience ?
Il veut vraiment savoir ce que j’en pense ?
- Tu sais, il a envoyé trois assassins à l’infirmerie sans qu’on ne puisse l’arrêter… Il ne vient plus au réfectoire, prend directement ses repas aux cuisines, il n’est plus le même ! Tu dois bien ressentir quelque chose ! Toute sa vie s’écroule depuis que tu es arrivée, et pourtant il est pressenti pour être le futur roi.
Ugh, mais j’en ai marre ! Tant pis ! Je rassemble mes affaires et fuis sans daigner répondre à son monologue. Mais lorsque je sors, c’est pire. Je découvre dans le couloir une banderole “Bienvenue Mary”, des automates ont la place de l’orchestre et se déroulent à chacun de mes pas. Pour couronner le tout, le chien du concierge se fait tirer la queue par deux automates et n’arrête pas d’aboyer.
Le sol est glissant, je dois être prudente, mais j'ai pitié de lui et je veux le libérer. Bien sûr, les étudiants commencent à sortir des salles et se retrouvent les quatre fers en l’air dans le couloir. Lorsque je parviens à libérer le chien, il se précipite et me fais tomber à son tour. Cerise sur le gâteau, c’est à ce moment précis que la Vigie apparaît devant moi...juste pour se prendre un jet de vapeur en pleine figure. Magnifique. Elle n’a pas l’air très contente.
- Miss Drake… Puisqu’il en est ainsi, retenue, dans une heure, dans mon bureau. Vous classerez les registres de 1886 à 1996, et je préfère vous prévenir qu’aucun retard ne sera toléré.
- Mais ...
- PAS DE MAIS. Déguerpissez.
Ah, puisque ça se passe comme ça…tu veux la guerre James ? Ne t’en fais pas, tu l’auras ! 
Je me remets facilement sur pieds et confie mes affaires à Cassandra. Cela fait, je me précipite aux cuisines où un repas chaud m’attend. C’est difficile d’ignorer les cuistots qui rigolent. Ils m’attendaient, mais la “farce” que mon frère vient de me jouer les amuse beaucoup. Ils sont bien les seuls à rire dans cette pièce.


Une fois rassasiée, j’arrive dans le bureau de la Vigie avec une dizaine de minutes d’avance. Pas la peine d’attendre, la retenue durera jusqu’à ce que j’ai fini, alors autant ne pas me faire prier.
Contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, 110 ans de notre peuple ne sont guère plus de 200 naissances et morts. Et encore, c’est seulement à cause de la guerre qui avait divisé la royauté en 1980. Notre peuple comprend un nombre fixe d'individus correspondant à 1% de la population humaine mondiale. Pour donner naissance à un enfant, il faut donc attendre la mort d'un d'entre nous. C'est bien souvent l'origine des tensions politiques.
La retenue a duré longtemps, mais j’étais dans mon lit à minuit et demie. Occupée à songer. Je n'ai pas pu résister à l'envie de lire mon acte de naissance... J'y ai appris deux choses, à commencer que ce sont nos grands parents maternels qui se sont tués pour nous permettre de naître. Ils n'attendaient pas de jumeaux et seul l'un de nous aurait pu survivre. Ensuite, je suis l'aînée. Ça met beaucoup de choses en perspective, notamment que leurs morts ne sont pas mon fardeau, mais celui de mon frère. Intéressant.

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