Chapitre 1

 “To my heart I must be true.”


Le bruit du train me berçant, je ne trouvais rien de mieux à faire pour ne pas m'endormir que de relire la lettre.
« L'académie Française n’ouvrira pas ses portes cette année pour les causes que nous vous avons énoncées lors de la réunion. En effet, les mécanismes utilisés pour la sécurité de vos enfants doivent être améliorés au vu des événements plus ou moins récents concernant l’apparition d’un prétendu « démon ». Ces rénovations ne pouvant avoir lieu en présence des élèves et s’étendant sur une durée inconnue, nous avons pris des mesures pour que les élèves puissent suivre une scolarité en alternance normale au sein des grands établissements mondiaux de notre communauté au cours d’un programme d’échange. L'académie Anglaise ayant elle aussi une vigie, les étudiants de dernières années s’y rendront. Ci-joint, les divers renseignements nécessaires.
Avec toutes mes espérances, je vous souhaite une bonne année et vous encourage à profiter au mieux de cette opportunité.
Mme N. CLAR, Directrice de l'académie Française. »
Cette rénovation n’aurait­ elle pas pu attendre encore un an ? Le temps que je puisse finir mes études loin de l’Angleterre, et donc de mon frère. La solution de continuer les cours semble toute "réfléchie", et si je ne m'y plie pas, il faut faire une croix sur mon identité au sein de la communauté.
Oui, j’ai un frère. Un frère jumeau, ce qui est assez rare dans notre peuple, et même si je ne veux pas le revoir, notre famille était soudée et nos parents n’ont toujours pas l’air de regretter leur mariage ou notre naissance. Ceux-ci, bien au contraire, se conduisent encore comme des ados, en se bécotant dès qu’ils le peuvent et en se faisant de folles déclarations d’amour.
J’aime mon frère. Il ne répond pas souvent aux messages que je lui envoie. Ce traître s’est fait des amis, trois amis, et a fondé une espèce de club. C’est bizarre et vieillot à mon sens. Il se dit populaire et plaît aux filles...Ce qui fait de lui mon exact contraire.
Je ne plais pas, je ne brille pas de charisme, mais le problème vient plutôt de mon manque de sensibilité. J'ai de bons résultats sans pour autant être première de la classe.
C'est ainsi que, seule face à l'adversité que représentent mes camarades dans cette formidable académie, je me suis prise de sacrées claques.
« Ne t’inquiètes pas, Mary-­chérie, tu finiras par te faire des amies. »
Mais je m’en suis fait, frangin ! Une pour être plus précise, une seule, Cassa. Elle est honnête, et peu de gens le sont. De son vrai nom, elle se nomme Cassandra de La Houlepière. Ce n’est pas vraiment courant, c’est une famille de nobles. Mais pas royale, heureusement pour elle qui a déjà une grosse pression sur les épaules.
Elle m’a radicalement changée. De bouc émissaire, je suis devenue une meneuse ! De sage, je suis devenue une collectionneuse de retenues et de devoirs supplémentaires. Et de timide, j’ai réussi à affirmer mes goûts et mes envies. Je pense que Cassa m’a appris à m’aimer comme je suis et cela m’a permis de grandir.
Il n’a sûrement pas changé de son côté. Toutefois on ne s’est pas vu depuis plus de deux ans, passant nos vacances avec nos amis respectifs. Je n’en sais donc pas grand ­chose. Il ne m’a pas manqué avant que je ne reçoive cette lettre et que mon esprit se gorge d'images de l'académie anglaise. Je suis tout de même heureuse de pouvoir le revoir. On est jumeaux, c’est un lien plus fort que tout.
Si je vois bien, on arrive… Et s’il ne me reconnaissait pas, si notre lien avait bel et bien disparu au profit de nouveaux avec ses amis ?
Une angoisse sourde monta, je la balayais de mon esprit presque aussitôt. Deux ans ne peuvent pas à ce point changer le lien entre des jumeaux.
En sortant de la gare, nous sommes tiraillés entre excitation et peur. Le chemin, puis les marches en pierre, n'ont été parcourus qu'en quelques minutes.
Les grilles des portes principales s'ouvrent sur une très vieille dame. Elle ne prononce pas le moindre mot, et se retourne en nous invitant à la suivre d'un geste de la main. Nous pénétrons alors dans une salle magnifique, grouillante d'étudiants disposés autour de tables rondes et des rouages mécaniques qui constituent notre univers. Les dizaines d’horloges sonnent l’heure pile dans une parfaite synchronisation. Les étudiants se lèvent tous sur notre passage. C’est inattendu.
L’année ayant commencé depuis plus d’une semaine dans l'Académie, les dernières années ont tous déjà récupéré leur montre. Une grande table, remplie d’hommes très vieux, nous observe. Je connais tous les noms de chacun de mes futurs professeurs, toutes sont des sommités dans leur domaine.
La vieille femme, qui n’est autre que la vigie, se lève et nous appelle un par un. Je n’ai rien compris mais je me range comme les autres, sans pouvoir m'empêcher de chercher mon frère du regard.
Je l’ai trouvé ! Il est avec de dignes représentants des publicités pour dentifrice, sourire super blanc, coupe de cheveux digne des publicités, mannequin est une vocation toute trouvée. Ils ne devaient pas être un groupe de quatre ? Ah ! Au temps pour moi, trois et demi. Le dernier est presque complètement banal.
Mon alter ego masculin quitte la table de gauche pour retourner s’asseoir à celle du milieu. Elle semble regrouper une demi-douzaine d'étudiants, tous susceptibles de par leur naissance de devenir de futurs rois et dotés des fameuses montres blanches.
Ils incarnent les purs, les humains les plus puissants, les seuls à pouvoir communiquer avec ce que d’autres appelleraient Dieu.

 -  Cassandra de La Houlepière...
La vigie prend la montre correspondante dans le coffre tandis que Cassandra s’avance.
Je suis déçue, elle a juste attaché la montre bleue qu’on lui tendait à son poignet, rejoins la table qu'on lui désignait, sans rien dire. Elle est partie s’asseoir.
La liste continue. Les noms défilent, j’ai de plus en plus faim, hâte aussi d’aller me coucher.

 -  Mary Drake...
Brusquement, tous se taisent et me regardent. On n’entend que les rouages des horloges. J’avance et me place face à la vigie. Elle me regarde droit dans les yeux. Quelques minutes passent. Longues minutes. Avec une exagérée lenteur, elle saisit mon poignet pour y attacher le ruban blanc de ma montre. Faisant de moi le septième possible futur roi. Des applaudissements retentissent: Comment leur en vouloir? C’est une lueur d’espoir.


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